retour à la page Catalogue Médiatine mars 1994Regarder et décrire un bas-relief : Brothers 3

Essai de description: Felix Adrien D'Haeseleer.

Annotations: Thérèse Chotteau.

Nommer, décrire, donner une signification à ce que l'on regarde; avec quels mots ? Comment le regard opère-t-il des sélections ? Décrire ce que l'on regarde, décrire ce que l'on sait ? Comment ordonner la description ? Le temps du regard n'est pas celui de l'écriture. Pourtant l'exercice est élémentaire pour l'étude de l'objet : il force à l'exactitude, il tempère les émotions, il détermine les arguments du jugement (et trouve ici sa justification première).

Masse de petit granit, sorte de lest, de lutrin. Un chevalet de pierre (41 x 33 x 12 cm).

Le bas-relief, rectangulaire et horizontal, est centré et retenu sur une des faces d'un parallélépipède rectangle de pierre bleue dont la base, tronquée, l'incline dans la lumière. Les proportions de ce support, sa matière lisse et mate, ses arêtes strictes, sa masse, lui donnent sa fonction: présenter le bas-relief dans l'espace; un socle haut, blanc, y contribue. Le bas-relief figure deux hommes côte à côte, mains derrière le dos, des portraits ?

Je trouve toujours mes modèles dans le dessin et la photographie ou dans les séances de pose à l'atelier. Véritables moteurs, ils suscitent la nature de la forme construite dans la couleur et dans l'espace; de pair avec la cire et le plâtre ils fixent l'aspect aride, voire brut, ou plus nuancé du relief. La série des frères, ce n'est pas seulement le portrait de deux personnes, mais le portrait d'une entité.


Brothers 3 1988
Bas-relief, plâtre et bronze polychrome
28x35x6cm

L'un est placé légèrement en retrait par rapport à l'autre à l'avant-plan de l'espace, d'un lieu constitué de formes rectangulaires, frontales, gravées ou à peine saillantes. La représentation occupe la totalité du bas-relief dont les bords, irréguliers, coupent les personnages à mi-hauteur des jambes.

Simple plaisir de la sculpture. On travaille une matière et on l'arrête dans l'espace. Le motif est élaboré dans la pleine page de plâtre et de bronze. Pas de zone neutre. Pas de cadre.

Les torses sont légèrement orientés vers la gauche, celui de gauche plus que celui de droite, il est aussi plus saillant. L'orientation des têtes diffère davantage encore : celle de gauche, frontale, celle de droite tournée, comme le torse de gauche, vers la gauche. Chaque corps est une masse solide qui adhère entièrement au bas-relief.

Me revient la mécanique de la description qu'Auguste Rodin fait d'une sculpture de Phidias : " Le plan des épaules et du thorax fuit vers l'épaule gauche; le plan du bassin fuit vers le côté droit; le plan des genoux fuit de nouveau vers le genou gauche, car le genou de la jambe droite pliée vient en avant de l'autre; et enfin le pied de cette même jambe droite est en arrière du pied gauche. "

Certains éléments du lieu, les visages, le devant d'un vêtement, des parties claires, sont modelés ou sculptés, imprégnés de traits, de petites touches de couleur ou formés de griffures qui font apparaître le blanc poudreux de l' épaisseur du relief; du plâtre. D'autres éléments du lieu, de même que les corps, sont modelés, gravés dans une matière comme durcie, brune, métallique; du bronze. Des facettes limées, les sommets des aspérités rejettent la lumière, des parties noircies l'absorbent. Les sillons, les traits ciselés dans le bronze se prolongent en griffures dans le plâtre, croisent les raccords bronze/plâtre qui deviennent éléments de la représentation, lisières clarté/obscurité.

Dans chacune de mes sculptures le bronze brut de fonderie prend sa juste valeur à côté des surfaces peintes, patinées, gravées ou polies. C'est en travaillant à la série des petits portraits (1985 - 86) en plâtre brut, en plâtre peint et en bronze peint que jai perçu l'intérêt de lier dans une même image les propriétés de lumière incisive et blanche du plâtre et l'obscurité sourde et solide du bronze. De là mes sculptures en bronze et plâtre où j'exploite une triple affirmation du relief par la sculpture de la forme (creux et sommets) -par la matière (plâtre ou bronze) -par la couleur (froide ou chaude).

Surgissent les relations étudiées entre la lumière et les ombres, réelles, représentées, dans leurs rapports avec les modulations des parties saillantes et des creux, avec la disposition des masses et avec l'orientation des plans.

Félix Adrien D'Haeseleer. Mars 1994.