"Figure"..."Sculpture"... Ces mots pourraient avoir de nos jours une connotation quelque peu désuète. On songe à travers eux au vocabulaire classique des Beaux-Arts, voire à celui de l'Académie. Leur choix par Thérèse Chotteau n'a pas été fait sans référence à ce langage traditionnel où "figure" désigne d'abord la représentation du personnage en pied, et "sculpture", l'art de faire surgir la forme en relief en taillant ou en modelant la matière.
A quels modèles ces "Autres Figures" font-elles référence ? Elles ne portent qu'un prénom qui semble tout au plus indiquer qu'elles appartiennent au cercle des amis de l'artiste. Elles nous paraissent pourtant familières; leurs attitudes et leurs expressions ne nous sont pas totalement étrangères. Leur grande simplicité leur confère un caractère universel et on a l'impression confuse de les avoir déjà rencontrées. Le choix de la dimension grandeur nature et de la représentation en pied ainsi que l'absence presque totale de socle en accentuent encore la proximité. Elles nous sont éminemment présentes. Si les mots "Sculpture" et "Figure" qui les qualifient évoquent le monde de l'Académie, les œuvres elles-mêmes n'ont rien de commun avec lui. Rien en effet qui rappelle ici ces poses étudiées que l'on fait prendre au modèle d'atelier ou ces attitudes compassées que l'on conférait autrefois aux portraits officiels; l'enfant est debout sur un tabouret, bien d'aplomb sur ses jambes; les frères regardent un objectif photographique qui les aurait saisis presque à leur insu. C'est à la photographie que le sculpteur a effectivement fait appel pour capter ces attitudes fugitives et pour mieux en sonder la réalité profonde.
On n'a pas affaire ici à des "figures de cire" ou à ces personnages moulés sur le vif par les hyperréalistes ou photo-réalistes. Rejetant toute subjectivité affective, ceux-ci veulent délibérément créer la confusion entre le modèle et la figure. Ils utilisent pour ce faire les techniques neutres comme le moulage et colorent leurs matières aux nuances de la réalité. Ils n'hésitent pas à habiller leurs personnages de vrais vêtements pour mieux faire prendre conscience de l'ambiguïté de la représentation artistique. A l'inverse, les figures de Thérèse Chotteau redonnent à la traduction subjective de la réalité tout son sens et tout son poids. Le choix du plâtre et les multiples interventions qui peuvent modifier l'aspect de celui-ci vont marquer entre la figure et le modèle un profond distanciement. Le plâtre qui sert le plus souvent d'intermédiaire technique est ici utilisé pour ses fortes possibilités tactiles et visuelles. Il réagit admirablement à la lumière, qu'il demeure dans sa blancheur initiale ou que celle-ci soit nuancée par un apport pictural. Ainsi pétrifiés, transformés par le travail du sculpteur, Massia, l'enfant et les deux frères finissent par nous paraître presque étranges. Ils deviennent peu à peu ces "Autres Figures".
Pierre-Paul DUPONT